FROMAGE ABONDANCE ET CHANGEMENT CLIMATIQUE, QUELLES SONT LES SOLUTIONS ?
Sécheresse, précipitations, orages, gel, le changement climatique a des répercussions sur l’ensemble de l’écosystème d’un fromage. Après une modification temporaire de son cahier des charges en 2003, 2018 puis 2022, le Syndicat Interprofessionnel du Fromage Abondance (SIFA) se penche sur des alternatives accessibles et durables pour faire face au défi climatique. La filière prépare l’avenir avec l’objectif de soutenir les éleveurs dont la charge mentale et financière ne fait qu’augmenter.
LE DEREGLEMENT CLIMATIQUE NE SE RESUME PAS A LA SECHERESSE
La tendance générale est au réchauffement climatique avec une augmentation de 2,6 °C des températures en moyenne dans les 2 Savoie entre 1900 et 2022. Aujourd’hui, c’est l’ensemble des bouleversements météorologiques qui viennent alerter la filière AOP Abondance. Le Ceraq (Centre de Ressources pour l’Agriculture de Qualité et de montagne) a présenté ses constats au Syndicat Interprofessionnel du Fromage Abondance. Avec des écarts de variabilité qui s’accentuent, alternant entre une année humide et une année sèche, les effets sont déjà notables et vont plus vite que les projections s’illustrant notamment par :
• Des évènements extrêmes plus fréquents,
• Des journées chaudes (à de 25 C) plus nombreuses ( 23 jours à Bourg Saint Maurice par exemple),
• Une diminution de la durée d’enneigement (34 à 22 jours).
REPENSER LES PRATIQUES AGRICOLES
Les perturbations météorologiques bouleversent les saisons de pâturage nécessitant alors la mise en place de nouvelles pratiques dans les exploitations.
- Optimiser, valoriser et préserver l’herbe
Avec parfois une quantité et une qualité d’herbe insuffisante et de l’eau en alpage qui peut s’avérer manquante, les agriculteurs apprennent ou réapprennent à mieux gérer leurs prairies. Stéphanie Lachavanne est conseillère en agro-fourrage à la Chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc. Elle intervient sur plusieurs thématiques et notamment celle de l’optimisation de l’herbe en prairie et dans les pâturages. « Tout commence par un temps d’investigation pour mieux comprendre quelles sont les spécificités du terrain et les pratiques de l’agriculteur. C’est souvent multifactoriel (pratiques, types de sol, climat…). Nous l’aidons ensuite à identifier les pratiques « à risque » qui peuvent dégrader les prairies et les solutions pour les améliorer. Par exemple des parcelles surfertilisées peuvent créer des dégradations, faire pousser une nouvelle flore et entraîner des mauvaises conditions de pâturage » explique-t-elle.
- Des actions concrètes à mettre en place dans les pâturages.
Plusieurs leviers peuvent être déployés par les agriculteurs afin d’adapter leurs pâturages et ne pas les laisser se dégrader :
• Alterner la fauche et le pâturage.
• Alterner des fauches précoces et tardives.
• Si la flore en place est correcte, laisser grainer à tour de rôle des parcelles tous les 4-5 ans permet de maintenir gratuitement un stock de graines dans le sol.
• Mettre en place le pâturage tournant pus respectueux des cycles de plantes.
• Raisonner sa fertilisation.
• Limiter toutes les pratiques à risque : tassement, sur-pâturage, sur-fertilisation.
• Réapprendre à connaitre la flore de ses prairies, souvent indicatrice des premiers symptômes.
Lorsque les dégradations sont importantes, il faut se tourner vers la mécanisation :
• Sursemis ou semi-direct d’espèces adaptées dans les prairies.
• En dernier recours, c’est la rénovation complète de la prairie qu’il faut mettre en œuvre avec un itinéraire technique adapté au système fourrager de l’exploitation. Plus coûteuse elle est aussi exposée au risque d’échec en lien avec le dérèglement climatique.
« Le sujet « prairie et son ergonomie » peut-être très complexe et nous essayons de leur simplifier les choses. Par exemple, si l’on veut faire de l’herbe de qualité pour faire du bon lait, il faut faucher un peu précocement les prairies. Il faut également respecter le cycle naturel du grainage pour refaire un stock de graines dans le sol comme cela se faisait à l’époque » avance la conseillère. Ces alternatives sont plus difficiles à mettre place en zone de montagne car il n’y a souvent pas ou peu de mécanisation. Devenus des zones de refuge par rapport à la ressource fourragère et à la chaleur, les alpages peuvent alors jouer un rôle important quand les fermes du bas manquent de fourrage. Monter en alpage permet de décharger certains champs pendant l’été, de récolter et de stocker des fourrages. »
ACCOMPAGNER ET SOUTENIR LES AGRICULTEURS Le changement climatique ne se résumant pas à la sécheresse, les agriculteurs sont contraints de composer d’une année à l’autre et souvent au sein d’une même année pour gérer ces « à-coup ».
- Les soulager d’une charge mentale trop importante
Ces nouvelles problématiques viennent s’ajouter à la charge mentale et financière des agriculteurs qui se doivent d’être plus souples pour s’adapter d’une année sur l’autre. « Les bouleversements climatiques me demandent beaucoup plus de temps, de gestion, et de déplacement. Je monte deux fois par semaine en alpage maintenant, c’est du stress en plus alors qu’avant c’était une balade pour moi », explique l’éleveur Philippe Gillet. En perpétuelle recherche de solution, les agriculteurs font cependant preuve d’une grande résilience et s’adaptent aux évolutions de leurs pratiques : « Une AOP ce n’est pas qu’un cahier des charges, ce sont des femmes et des hommes, des pratiques qui doivent évoluer et un modèle à suivre, qui nous donne un cadre », précise l’éleveur.
- Expérimenter avec prudence de nouvelles espèces fourragères
Les professionnels du secteur, dont le SIFA, aux côtés du Ceraq, évaluent l’intérêt et l’impact de nouvelles espèces fourragères. Venus des pays chauds, la chicorée, le sorgho ou encore le moha pourraient permettre de donner un peu d’air aux agriculteurs en compensant le manque d’herbe sans pour autant la remplacer.
- S’appuyer sur la force du collectif
S’il n’y a pas de recette miracle pour faire face au dérèglement climatique, ce dernier oblige les professionnels du secteur à réfléchir à la fois à l’échelle individuelle mais surtout collective. « Notre analyse se veut systémique car nous ne devons pas raisonner pour un agriculteur, un troupeau en particulier ou pour l’herbe d’une certaine prairie mais bien pour un ensemble » affirme Joël Vindret, Directeur du SIFA.